C’est dans une tablette babylonienne datant de plus de 4 000 ans que l’on retrouve la première trace écrite de l’épilepsie, une maladie chronique qui a longtemps été associée à des causes surnaturelles dans les civilisations anciennes.
Si cette pathologie neurologique est aujourd’hui bien comprise par la communauté scientifique, 20 % à 30 % des patients ne répondent pas favorablement aux traitements accessibles. Le cannabidiol, ou CBD, figure parmi les molécules envisagées pour faire face aux formes réfractaires ou pharmaco-résistantes de cette maladie chronique. Dans cet article, nous revenons sur les trois études majeures en la matière, mais aussi sur la grande expérimentation pilotée par le ministère français des Solidarités et de la Santé.
Sommaire
L’épilepsie : brève histoire de la maladie « sacrée »
L’épilepsie est un trouble convulsif qui se traduit par des crises récurrentes et imprévisibles. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette maladie neurologique chronique est courante, dans la mesure où elle touche 2 % de la population mondiale.
L’Histoire médicale de l’épilepsie remonte à 2 000 ans avant J.-C, où on lui attribuait une origine spirituelle, en lien avec un esprit malfaisant. Au 5e siècle avant J.-C., les Grecs la surnomment « la maladie sacrée », croyant que le déclenchement des crises suivait les phases de la lune et/ou les humeurs de la déesse Séléné.
Ce sont toutefois les Grecs qui émettront pour la première fois l’hypothèse d’un dérèglement cérébral (traité d’Hippocrate). Cette conception rationnelle qui fait fi des considérations mystiques ne trouvera son chemin dans la communauté scientifique qu’au 18e siècle.
Ainsi, et après plus de 2 000 ans de conceptions surnaturelles, l’épilepsie prenait enfin sa place comme pathologie chronique à explorer à la lumière des nouvelles connaissances sur la physiologie humaine, la biochimie et l’anatomie. Ce sont les travaux du neurologue anglais Hughlings Jackson (1873) qui feront bouger les lignes et jetteront les bases de notre compréhension contemporaine de cette maladie neurologique chronique. Il émet en effet l’hypothèse de décharges électrochimiques archaïques, fulgurantes et diffuses qui déclenchent les crises caractéristiques de l’épilepsie.
L’épilepsie : des traitements neurochirurgicaux et médicamenteux
Un demi-siècle plus tard, le psychiatre allemand Hans Berger poursuit les travaux de Hughlings Jackson et développe un premier outil de diagnostic, l’électroencéphalographe (EEG). Objectif : détecter et mesurer l’activité électrique du cerveau pour mieux comprendre le modus operandi d’une maladie longtemps restée mystérieuse. L’EEG permettra le développement de traitements neurochirurgicaux plus tard dans le 20e siècle.
Les traitements médicamenteux, notamment à base de phénobarbital et phénytoïne, viendront compléter l’arsenal thérapeutique à disposition des médecins. La pharmacopée liée à l’épilepsie a continué à se développer après les années 2000, avec l’entrée progressive de deux molécules issues du chanvre industriel pour réduire la fréquence et l’intensité des crises mais aussi pour traiter les formes réfractaires aux traitements accessibles. Il s’agit du cannabidiol ou CBD (non psychotrope) et du tétrahydrocannabinol ou THC (psychotrope), deux molécules qui font d’ailleurs l’objet d’une grande expérimentation médicale en France sous l’égide du ministère des Solidarités et de la Santé (voir plus bas).
L’épilepsie réfractaire : de quoi parle-t-on ?
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les traitements disponibles permettent aujourd’hui de traiter efficacement entre 70 % et 80 % des patients souffrant d’épilepsie. En revanche, plus de 70 % des patients épileptiques à l’échelle mondiale (35 millions d’individus) n’ont pas accès à un traitement approprié. Ces statistiques rejoignent les chiffres communiqués par la Ligue francophone contre l’Epilepsie (ASABL). L’association explique en effet que 30 % des patients souffrant d’épilepsie ne répondent pas (ou peu) aux médicaments antiépileptiques. C’est ce que l’on appelle l’épilepsie réfractaire ou pharmaco-résistante.
Selon la Ligue internationale contre l’épilepsie, le médecin traitant émettra le diagnostic d’une forme pharmaco-résistante après l’échec d’au moins deux médicaments pris à doses efficaces. Connu pour ses propriétés anti-inflammatoires, relaxantes et antalgiques, le CBD issu du cannabis fait l’objet de nombreuses études et essais cliniques dans le cadre de la recherche de traitements alternatifs pour améliorer la qualité de vie des patients épileptiques, y compris ceux qui souffrent de formes réfractaires ou pharmaco-résistantes.
Cannabidiol (CBD) contre l’épilepsie : focus sur les trois principales études réalisées
Le cannabidiol ou CBD est une molécule extraite du chanvre industriel qui ne présente pas d’effet psychotrope. Dans la page consacrée à la molécule, le Comité d’experts de la pharmacodépendance de l’Organisation Mondiale de la Santé a conclu que le CBD à l’état pur « ne semble pas présenter de potentiel d’abus, ni être nocif pour la santé ».
Si l’organisation reconnaît que « certains éléments attestent d’une possible efficacité pendant les crises d’épilepsie », elle ne recommande pas l’usage du cannabidiol à des fins médicales car « d’autres éléments de preuves restent nécessaires ». Pour aller plus loin, explorons les résultats prometteurs de trois études citées dans les travaux publiés en 2017 et 2018 par le professeur Orrin Devinsky, Directeur du NYU Comprehensive Epilepsy Center et figure de proue de la recherche scientifique sur l’épilepsie.
Etude n°1 : syndrome de Lennox – Gastaut
Il s’agit d’une étude randomisée, contrôlée et en double aveugle. Il s’agissait d’évaluer l’apport du cannabidiol (CBD) dans le traitement du syndrome de Lennox – Gastaut chez les enfants. Le traitement utilisé consistait en une huile de CBD à 10 % de fabrication contrôlée. Résultat :
- La fréquence des crises atoniques a été réduite de 42 % chez les patients sous CBD (contre 17 % chez les patients sous placebo) ;
- Les effets secondaires ont été qualifiés de « légers à modérés » par l’équipe médicale : diarrhée, somnolence et perturbation des enzymes hépatiques.
Etude n°2 : syndrome de Dravet
Il s’agit d’une étude randomisée et en double aveugle. L’objectif était d’évaluer l’efficacité du cannabidiol (CBD) sous forme d’huile à 10 % de fabrication contrôlée pour le traitement du syndrome de Dravet chez les enfants. Résultat :
- Les chercheurs ont noté une baisse du nombre de crises d’épilepsie de 50 % chez 43 % des patients utilisant l’huile de CBD (contre 27 % pour les patients sous placebo) ;
- Les effets secondaires ont été qualifiés de « légers à modérés », impliquant notamment des problèmes de transit (diarrhée), un état de somnolence léger et une perturbation des enzymes hépatiques.
Etude n°3 : les épilepsies réfractaires ou pharmaco-résistantes
Cette étude a évalué l’efficacité du CBD dans le traitement des épilepsies de type « réfractaire » ou « pharmaco-résistant ». Il faut toutefois noter que cet essai clinique n’est ni randomisé, ni contrôlé par un groupe placebo. Résultat :
- L’huile de CBD a permis de réduire les crises convulsives mensuelles de 50 % chez 52 % des patients.
- Effets secondaires : diarrhée et somnolence.
Bien qu’il ne puisse pas être considéré comme un médicament « miracle », le cannabidiol sous fabrication contrôlée semble avoir sa place dans la pharmacopée destinée à améliorer le quotidien des patients épileptiques, y compris ceux qui souffrent de formes réfractaires ou pharmaco-résistantes. La position de l’OMS nous semble toutefois pertinente, dans la mesure où des preuves additionnelles doivent encore être apportées pour permettre à la communauté scientifique de se prononcer. L’expérimentation française en cours pourrait apporter de nouvelles réponses en ce sens.
La France a lancé une grande expérimentation sur le cannabis médical
En mars 2021, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran a donné le feu vert à une grande expérimentation du cannabis médical menée dans 215 structures de soin volontaires sur l’ensemble du territoire français. L’opération devrait concerner plus de 3 000 patients dans les cinq indications thérapeutiques retenues par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de la santé (ANSM) :
Les formes d’épilepsies réfractaires ou pharmaco-résistantes ;
- Les douleurs associées à certaines formes de cancer ainsi que certains symptômes rebelles en oncologie ;
- Les douleurs neuropathiques pharmaco-résistantes ;
- La spasticité douloureuse des pathologies du système nerveux central ;
- Les soins palliatifs.
« En tant que médecin, en tant que ministre, je suis fier que la France puisse expérimenter l’usage du cannabis à des fins médicales et d’ainsi mieux accompagner des milliers de patients qui affrontent des pathologies lourdes », a notamment déclaré le ministre des Solidarités et de la Santé lors du coup d’envoi de l’expérimentation au CHU de Clermont-Ferrand. Le ministre a d’ailleurs assisté à la toute première prescription du cannabis médical à un patient clermontois souffrant d’épilepsie.
Comme l’explique l’équipe du CHU, les patients commencent leur traitement par une huile composée de CBD pur (100 %). Si les résultats ne sont pas satisfaisants, le médecin traitant prescrit une huile composée de CBD (50 %) et de THC (50 %). L’expérimentation portera à la fois sur l’efficacité du cannabis médical mais aussi sur les doses minimales efficaces. Les résultats définitifs devraient être communiqués dans la seconde moitié de l’année 2024.